24 Janvier 2014 : Le Figaro
Marie-France Hirigoyen, psychiatre et psychanalyste, publie Le Harcèlement moral au travail . Pour elle, il existe un harcèlement moral en famille comme au travail.
LE FIGARO. – La notion de «harcèlement moral en famille» vous semble-t-elle juste?
Marie-France HIRIGOYEN.- Oui, dans la mesure où dès mes premières recherches sur ce thème, et dès mon premier livre, en 1998, je décrivais une violence perverse au quotidien, dans la vie privée en général, et dans différents contextes. Je jouais aussi sur l’ambiguïté du terme «moral» qui indique une violence à la fois psychologique et éthique. Dans tous les cas, la personne ciblée souffre d’une situation où les agressions persistent dans le temps, de manière répétée, au point de porter atteinte à sa dignité et à son intégrité. Celui qui agresse, lui, trouve toujours cela «normal», car il a l’impression de réagir. Partout, et dès le début, on retrouvait cette asymétrie entre les protagonistes.
Mais dans le domaine professionnel, cette asymétrie ne se justifie-t-elle pas par l’ordre hiérarchique?
Non, un chef de service ou un parent peut très bien exercer son pouvoir sans le faire de manière abusive! Le harcèlement moral, lui, indique qu’il y a toujours emprise: on piège l’autre en cassant ses défenses. On le disqualifie, on l’isole, on le menace et ainsi il ne peut plus se défendre et cela, quel que soit son ordre dans une hiérarchie. Ainsi, aujourd’hui, se développent des cas où c’est un subordonné qui harcèle son supérieur, ou des enfants tyrans qui maltraitent leurs parents! En ce sens, le cadre juridique donné au harcèlement moral insiste sur les conséquences sur la santé des victimes bien plus qu’il ne décrit des agissements eux-mêmes, car si l’on se focalise trop sur eux, on peut passer à côté d’une réelle situation de harcèlement.
Jusque-là, lorsqu’on parlait de maltraitance à enfants, on évoquait surtout la violence physique…
Oui, et celle-ci est sanctionnée. Ainsi, la fessée, qui semblait «normale» avant, est très mal vue aujourd’hui. Notre société est de moins en moins tolérante à la violence visible, et c’est très bien. Mais du coup se développent toutes les violences psychologiques, notamment au travail et à l’école. Celles-ci restent plus complexes à définir en famille. Le dénigrement d’un enfant ou l’absence de soins sont des formes de maltraitance. En revanche, une famille où l’on a l’habitude de se couper la parole ne «casse» pas forcément du point de vue psychologique… Le harcèlement, lui, je le répète, repose toujours sur deux facteurs: il est répétitif et insidieux.
Êtes-vous satisfaite de voir ce terme et ces agissements de plus en plus reconnus?
Oui, l’élaboration de la loi, les limites précisées par le Code du travail notamment ont permis de responsabiliser de nombreuses organisations, ce qui est nécessaire, car, aujourd’hui, la manipulation est partout: en politique, en affaires, dans l’entreprise… Car beaucoup cherchent à survivre. En revanche, je regrette certaines interprétations: une personne anormalement susceptible, fragilisée et se défendant mal peut prétendre être victime d’un «pervers narcissique». Ce terme est utilisé facilement, notamment sur certains sites où des personnes s’auto-diagnostiquent victimes alors qu’elles ne partent que de ressentis pour désigner leur «bourreau». Cela ne peut malheureusement qu’attiser des situations de conflit. Et c’est alors une utilisation elle-même perverse de ce vocabulaire.