1 Décembre 2007 : www.entreprise-progres.net

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Les nouvelles solitudes, par

Nous avions eu la chance de recevoir la psychanalyste Marie-France Hirigoyen dans le cadre du chantier sur la peur en entreprise que nous menons avec la fondation suisse Ecophilos. Son dernier ouvrage, Les nouvelles solitudes, s’il ne traite pas exclusivement du monde du travail, consacre néanmoins tout un chapitre à la question des relations intra-personnelles au sein de l’entreprise. Car au côté des épouses délaissées par leur mari, des célibataires au bord de la dépression après dix ans de vide affectif, des adolescents scotchés à l’écran de leur ordinateur depuis leur plus tendre enfance, Marie-France Hirigoyen  rencontrent de plus en plus d’employés démolis par leurs conditions de travail. Non pas des gueule- noires éreintées par 25 ans de « charbon », mais des cadres ou employés progressivement isolés au sein de leur propre entreprise. « Même si ce n’est pas vrai dans toutes les entreprises, la tendance générale, constate-t-elle, est à l’éclatement des collectifs de travail et les espaces libres qui existaient autrefois sont désormais restreints au maximum ». Et de pointer du doigt les 35 heures qui ont contribué à intensifier les rythmes de travail ou l’individualisation des évaluations qui concourt à détruire la solidarité entre salariés.

La peur du chômage, « l’augmentation de la charge mentale », la place excessive du paraître et de l’image –propre à l’ensemble de la société contemporaine-, entraînent un stress propice au harcèlement moral ou au phénomène de « burn out ». À fleur de peau, le salarié peut très vite basculer dans le harcèlement, soit qu’il soit pervers, soit qu’il tente de se protéger et de protéger son image. « La moindre remarque entraîne des réactions épidermiques. L’importance donnée à sa propre image entraîne une fragilité narcissique qui amène certains à s’écrouler à la moindre critique d’un supérieur hiérarchique ou d’un ami ».  Une chute qui arrive d’autant plus vite, que le salarié ne trouve pas toujours auprès de sa famille le soutien qui peut lui faire défaut au sein de son job.

Car le monde du travail n’est qu’un reflet parmi d’autres d’une société post-moderne où l’individu- et non plus la personne- se retrouve isolé bien que paradoxalement en communication immédiate et instantanée avec le monde entier.  « Seul dans un monde de performance », estime notre auteur. Le narcissisme débridé autorise à penser que nous sommes tous appelés à un bonheur absolu qui se confond dans nos sociétés occidentales avec une consommation à outrance. Consommation massive de biens –voir l’explosion du diabète et de l’obésité-, de loisirs, de relation affectives rassurantes –voir l’explosion des Technologies de l’Information et de la Communication ainsi que du communautarisme sous-toutes ses formes-, de sexualité compulsive –voir l’explosion de la pornographie et des sites de rencontre…

Tout apparaît possible, mais tout n’est pas possible. D’où l’épouvantable frustration que couve l’hyperactivité de notre société. Une société qui engendre par gros bataillons, des « frustré(e)s, qui n’ont pas compris que, pour grandir et devenir autonome, il fallait renoncer à la satisfaction de tous leurs désirs ». Ces mêmes frustrés- qui peuvent être chacun d’entre nous- que l’on retrouve sur le canapé des psychanalystes.

Le travail de Marie-France Hirigoyen se révèle tout aussi passionnant sur la nature humaine que terrifiant sur l’avenir d’une telle société. On se rassure alors en pensant que la société n’est pas totalement fondée sur le mode « consumériste et narcissique » et que ses réflexions ne sont que l’écho restreint des névroses de ses patients, une population par définition très ciblée… On se rassure comme on peut.