18 Mars 2014 : Miroir Social

18 Mars 2014 : Miroir Social
« Il ne faut pas confondre le harcèlement avec les autres risques psychosociaux », par Audrey Minart

 

Marie-France Hirigoyen est psychiatre et psychanalyste. Elle vient de publier « Le harcèlement moral au travail » dans la collection « Que-sais-je ? »  (PUF), après avoir la première évoqué ce terme dans un essai de 1998*, qui a inspiré la loi du 17 janvier 2002. L’occasion d’une mise au point pour ne pas parler à tort et à travers de harcèlement au risque de banaliser des souffrances moins visibles. Un constat qui vaut aussi pour le « burn out ».

Le terme « harcèlement moral » n’est-il pas parfois utilisé à outrance ?

En effet, on retrouve d’ailleurs aujourd’hui le même phénomène avec le « burn out ». C’est la raison pour laquelle j’ai souhaité faire une mise au point. En 1998, j’étais partie de ce que me disaient mes patients. Depuis, il y a eu une loi et de nombreuses recherches au niveau international qui nous ont beaucoup appris. Il ne faut pas confondre le harcèlement avec les autres risques psychosociaux, et éviter les plaintes abusives car les magistrats sont excédés. Le problème aussi est que nous en parlons aujourd’hui à tort et à travers, et que cela risque de banaliser des souffrances moins visibles.

Parler de « harcèlement » ou de « burn out », y compris abusivement, n’est-il pas simplement une manière d’extérioriser un mal-être plus global dans le monde du travail ?

Sans doute. Les travailleurs utilisent les mots qui sont à leur disposition, et aucune autre terminologie n’existait dans le code du travail avant la loi… Ensuite, les travaux sur le stress se sont multipliés, et le terme de « burn out » est apparu en France. Il faut cependant noter qu’aujourd’hui le harcèlement est très bien défini par la loi, ce qui n’est pas le cas du « burn out », autant juridiquement que scientifiquement. Le fait est qu’il y a incontestablement de plus en plus de souffrance psychique sur les lieux de travail, du fait des changements dans l’organisation du travail et de la société. Avec les nouvelles technologies, nous sommes amenés à tout faire en direct. Tout va beaucoup plus vite. Notre société prône également l’autonomie, qui peut virer à l’isolement, l’individualisme, qui implique une diminution de la solidarité et une injonction à la productivité, aussi présente dans l’administration. Mais si le harcèlement trouve ses origines dans l’organisation du travail, on y retrouve aussi quelque chose de plus personnalisé.

« Harcèlement moral » et « burn out » sont parfois confondus. Comment différencier les deux ?

Le « burn out » est une situation de stress qui s’emballe : la personne concernée s’est trop investie et ses défenses finissent par ne plus fonctionner parce que les stimulations ont été trop nombreuses. Elle «craque » et n’a pas les moyens de réagir correctement. Mais la définition des experts est beaucoup plus vague que celle du harcèlement, qui implique des agissements pouvant nuire à la santé mentale. Ils sont toujours du registre de l’isolement, des atteintes aux conditions de travail, d’attaques personnelles comme l’humiliation, les intimidations ou même les menaces. Cependant, il faut que ces agissements soient
répétés, et qu’il y ait une inégalité de pouvoir entre les personnes… Le texte de loi précise par ailleurs que le harcèlement peut ne pas être intentionnel, c’est la raison pour laquelle il faut, pour éviter les abus, d’essayer de parler à la personne qui pose problème, et monter un dossier, pas forcément pour aller en justice mais simplement pour prendre du recul et s’assurer qu’il s’agit bien de cela.

Et en termes de symptômes chez le harcelé ?

Ils sont les mêmes au départ dans le « burn out » et le harcèlement : stress, tension, nervosité… Mais dans le second cas, les troubles psychosomatiques sont spectaculaires : maladies de peau, perte intégrale de cheveux, graves troubles endocriniens, hypertension… Des symptômes qui disparaissent lorsque la personne s’éloigne de son lieu de travail et du harceleur. Le harcèlement est aussi caractérisé par un stress post-traumatique qui, selon moi, n’existe pas dans le « burn out ». Le sujet ne se décolle pas de son agression, il la ressasse en permanence tout en étant dans une forte détresse psychologique… S’ensuite une attitude d’évitement et un repli sur soi. Le sentiment de honte, l’humiliation, le doute, sont aussi très caractéristiques.

* « Le harcèlement moral au travail. La violence perverse au quotidien. », La Découverte & Syros.